Chapitre 1

133 5 0
                                    


La caravane : Black Mountain Side, Led Zeppelin, album « Led Zeppelin I »


― Si je devais mourir demain, je mourrais content : j'ai bien vécu.

'Dar, le vieux marchand, reprit une gorgée d'eau croupie de sa gourde et la savoura. Autour de lui, aucun de ses compagnons ne fit mine d'acquiescer. Éreintés par la marche, tous tentaient en ces heures brûlantes de profiter de l'ombre : sous la saillie rocheuse où le guide les avait fait s'arrêter ou sous une tente dressée à la va-vite pour les moins fortunés.

Beaucoup plus haut, dans un recoin où elle patientait, invisible, Ishtar ignora la chaleur et l'inconfort de sa posture pour écouter. Sous le sifflement constant du vent, elle pouvait distinguer le moindre chuchotis des hommes de la caravane, la façon dont un caillou roulait sous le pied d'un soldat, la tension soudaine d'une corde retenant une bête de somme.

Question de pratique ;une bonne cheffe d'équipe était aux aguets, attendant le bon moment pour apparaître et agir.

― Neveux,continua 'Dar, apportez-moi cet infâme alcool de cactus que vous dissimulez dans une sacoche. Nous devons célébrer ce jour.

Sur la falaise, Ishtar se figea. Sans les voir, elle sut que tout autour, ses guetteuses avaient perçu son geste et l'imitaient.

Ai-je été repérée ?Son cœur battit plus vite à cette pensée.

En bas, les neveux du marchand, Arm'Dar et Tsi'dar, s'entre-regardèrent avec surprise. Le plus âgé envoya l'autre obéir.

― Célébrer quoi, mon oncle ? demanda Arm'Dar.

― Nous voilà à mi-distance de Dankramas. Quinze jours de voyage sans encombre dans ce foutu désert, c'est un exploit...

La jeune guerrière relâcha un souffle qu'elle n'avait pas eu conscience de retenir.Ouf, le marchand ne parle pas de moi.

Au ras du sol,l'atmosphère changea. Entre deux jets de dé, des soldats de l'escorte observaient 'Dar au cas où il déciderait de partager son alcool.

D'après Ishtar, c'était peu probable. Depuis trois jours qu'elle et ses filles suivaient les hommes de la caravane, elle n'avait pas encore vu 'Dar – ou aucun des autres, d'ailleurs – agir par pure bonté d'âme.

Seul comptait leurintérêt.

Sous la dernière ombre disponible, au bout de la saillie rocheuse, un homme se tenait à l'écart de ce frémissement d'intérêt. Il n'avait pas eu à réclamer cet espace ; juste rendu son regard au meneur de bêtes qui avait cru pouvoir l'occuper. L'autre, pourtant costaud, avait reculé.

Dans son recoin rocheux,Ishtar fronça les sourcils. Qui était cet homme ? Il ne portait pas l'habit d'un marchand, paraissait encore moins être un domestique ou un artiste. Il ne protégeait personne : donc, pas un soldat.

On le voyait marcher seul et manger seul. Au plus fort du jour, quand tout le monde n'aspirait qu'à une sieste à la fraîche, il se dirigeait vers le yak qui transportait ses outils, les tirait du cuir les protégeant de la poussière et s'éloignait avec. On entendait alors des coups de pioche dans les montagnes alentour.

Zralinn l'avait vu examiner des roches qu'il mettait à jour, en abandonner la plupart,en retenir certaines.

Il devait être un artisan, même si quelque chose en lui semblait résister à l'hypothèse. Ishtar avait beau fouiller sa mémoire, aucun des captifs de l'Androcée ne lui ressemblait. Cela éveillait son intérêt même si elle savait qu'au bout du compte, elle serait déçue – comme toujours avec les hommes qu'elles ramenaient.

Le Guerrier NavigateurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant